L’homme élève un mur qui…l’abaisse.
« Nous bâtirons une muraille de Chine entre le Kosovo et la Serbie. Nous ne voulons même pas voir leurs oiseaux ou leur ciel. » (1). Buter contre un mur, celui qui est souvent la palissade de la propriété et toujours la balafre de la bêtise, l’écran contre la peur et la différence. Barrant notre horizon, il réduit notre conscience et borne notre imaginaire. Alors des briques s’empilent dans notre cerveau, et elles fendent notre cœur en laissant parfois à nos yeux de petites ouvertures grillagées. Entourant le verger, enfermant le couvent, cerclant l’école, détruisant les communaux, chaque mur se dresse sans s’apercevoir qu’il n’est qu’une dérisoire limite, une vaine séparation entre le dehors et le dedans. Le mur brandit l’interdit mais invite à la curiosité. D’ailleurs n’est-il pas curieux que sa vanité éclate au grand jour quand nous savons que pour le défaire, il faille le faire ?
C’est ce mur qui portera les interdictions d’afficher, de jouer au ballon, de faire du bruit…mais c’est lui sur lequel on pisse, c’est lui qui portera les fresques de la révolte et les poésies de la rue comme les cris enfermés.
Murs frontières et barrières de béton, de verre ou de fer, armés de tessons, bardés de grilles, murs décorés de piques ou harnachés de barbelés, murs invisibles et murs anti-tags vous courez sans fin sur la terre et lancez vos bras aveugles vers le soleil et la mer. A vos pieds, il y a tant de pleurs et de sang mêlés; mais il y a aussi des pierres qui rient de vous et les vents qui vous tromperont toujours et les arbres qui tendront leurs fruits, leurs fleurs et même leurs ombres à l’étranger.
Et ces murs qui entourent la mort, celle encore souriante des casernes et celle désormais sèche des cimetières, comme pour nous faire croire à des camps bien délimités, étanches.
Et ces clôtures qui encerclent la vie pour, tout autant, en faire payer l’entrée qu’en surveiller la sortie…ou inversement. Et la terre nous est étroite (2). En Palestine, on ne sait plus où ni quel est le mur des lamentations. Au Mexique, 3 200 kilomètres de béton deviendront les beaux fruits de l’ALENA, ce traité des Amériques que l’on dit de libre échange.
Et pas la peine d’aller si loin ! Tiens, mon voisin que je suspecte d’avoir ériger un mur en fausse pierre de taille pour y faire tenir une grille châtelaine, une boîte aux lettres et une sonnette au cas où des amis viendraient. Et Michèle qui, à la mort de son mari - où comme on le sait on se dépêche de réaliser ses vieux rêves avant qu’ils ne tombent à l’eau -, a installé un portail télécommandable doublé d’un hygiaphone-caméra certainement parce qu’un pont-levis ça court plus les rues et c’est difficile à manœuvrer. A Digne les Bains, le colonel Barré s’est ainsi doté d’un haut mur gris pour garder rien qu’à lui les souvenirs de la joyeuse camaraderie d’une caserne sous les tropiques. D’autres n’ont d’autres espoirs, pas d’autres horizons, si j’ose dire, que d’enfin en élever un. Finalement, à défaut des autres, l’homme n’est jamais si bien enfermé que par lui-même.
éZou
(1) Paroles d’un vieil Albanais du Kosovo, juin 1999, in Après-guerre(s), Editions Autrement – Coll. Mutations n° 199/200.
(2) Mahmoud Darwich.
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